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Dessin ou Photo

Dessin ou photo ?

 

En posant cette question, Doodle confirme qu’il n’existe pas de frontière nette entre photo et dessin comme le témoignent ces quelques titres: Transformer une photo en dessin, fusion dessin-photo, de la photo au dessin, un dessin pris pour une photo. En toute évidence, cette frontière comporte un important flou et une tendance, sinon une envie de naviguer entre les deux techniques.

 

À l’école primaire, ayant obtenu un traitement de faveur grâce à mon don pour le dessin, je ne voulais pas laisser passer une telle chance. Pour ne pas perdre cet avantage, je devais travailler la technique et faire preuve de créativité. Plus tard, grâce à  l’accès à un matériel photographique de qualité, j’ai eu ma première période photos noir et blanc. Une fois absorbé par la médecine, le dessin devenait le moyen principal pour me faire comprendre et de transmettre mes idées. Un jour, ce regard restreint du médecin sur le corps de son patient commençait à me peser. Pas étonnant que je prenne immédiatement un plaisir fou de suivre des cours de dessin académique, en plus dans le haut lieu de l’Ecole supérieure des Beaux Arts de Genève, et ceci pour les prochains 18 ans. Quelle différence par rapport au regard médical qui doit dépister des anomalies et des maladies. Presque une révolution pour moi – le regard libéré ! Cette période se terminait avec une exposition personnelle de mes dessins dans une grande galerie de la ville. Le thème choisi annonçait la fin de cette période « dessin », LE CORPS ABSENT, car, découvrir le regard et l’expression des yeux prenait le relais. Le retour à la photo était ainsi tracé et mon premier livre paru en 2013, SURPRENDRE LE REGARD cherchait à décoder le regard échangé du couple. Le deuxième livre composé de photos et de textes suivait en 2014, LES ARBRES DU SALEVE RACONTENT LEURS HISTOIRES. J’ai ainsi changé à reprise de technique sans jamais les mélanger. Voir sous WORKS.

 

Tant pour le dessin que pour la photo, le cadrage préalable précis est essentiel. Généralement, j’utilise le pastel gras pour sa maniabilité. Une fois les premiers repères placés, le mouvement se libère, s’accélère, facilité par l’utilisation d’un chiffon mouillé de térébenthine pour éclaircir ou renforcer les couleurs en les mélangeant directement sur le papier. Mon format préféré est celui de 50 sur 70 cm ; il permet des mouvements soutenus par le corps entier. Placer le sujet sur le papier a un aspect très excitant, comme si on voulait le posséder, comme si la craie essaie de contourner l’objet pour l’enfermer sur la feuille. Il faut de concentration pour ne pas gâcher un début réussi. J’ai toujours dû me méfier de ne pas prolonger inutilement la durée, car trop de temps rimait souvent avec l’échec.

 

Concernant la photo, il faut sentir le « bon sujet ». Le cadrage dépend aussi de ce qu’on veut dire avec l’image. Il est préférable de travailler dans un cadre de reportage que de photographier tout azimut. On n’est pas loin du dessin, car la répétition de la prise de vue, par exemple d’arbres, nous apprend voir leurs spécificités, leurs forces, mais aussi leurs « défauts ». Un arbre solitaire dans un pré prend une tout autre signification, si on laisse beaucoup de vide autour qu’en le cadrant d’une façon très étroite. Les photos portrait ont leurs propres exigences ; lors de l’expérience SURPRENDRE LE REGARD tout était mis en œuvre pour capter l’instant du regard échangé. L’ambiance qui régnait dans le studio avait son importance et c’est elle qui permettait aux sujets de rester naturel et parfaitement eux-mêmes.

 

 

 

LE REGARD LIBERE :

DE LA SALLE D’OPERATION A LA SALLE D’ACADEMIE

 

 

L’automne 1991 était pour moi le retour, enfin, à une activité artistique régulière. Pourquoi ce choix du dessin de figure, dit académique ? Mon métier de gynécologue ne permettait-il pas satisfaire le regard sur le corps humain ? Ce rapport avec la maladie devenait-il à la longue trop lourd, pour finir dans la lassitude jusqu’à éprouver une répulsion face à cette continuelle quête du pathologique ?

 

C’était une profonde envie qui me poussait de frapper à la porte de l’académie. Les écoles d’art de Genève offraient déjà depuis des années des cours libres au public tout-venant, supervisés par les maîtres de dessin des branches des arts appliqués. Les premiers traits -  je me rappelle comme si c’était hier –  se sont avérés difficiles ; je n’osais pas poser mon regard sur le modèle sans être gêné.  Ce nouvel environnement me rappelait les premiers contacts avec la salle de dissection en anatomie lors de mes études, un lieu chargé de pudeur et d’une étrange retenue qui empêchait au début tout geste libre du scalpel, mais aujourd’hui il s’agissait du crayon. Je dois avouer, c’était une curieuse sensation pour quelqu’un qui aimait depuis toujours expliquer, étayé par des dessins, ses constatations et propositions thérapeutiques à ses patientes.

 

Ce saut du milieu de la médecine aux Beaux Arts me donnait des ailes. Les heures passées dans cette belle salle sous le toit près de la gare, avec son immense miroir dressé derrière le modèle, avaient une saveur de fête. Fête car tout instant ressemblait à une célébration de la beauté, qui, hélas, ne se traduisait pas nécessairement sur nos feuilles, élèves de tout âge, tous concentrés pour se surpasser. Mais quel bonheur quand le résultat s’approchait de nos aspirations et, surtout, quand le prof lui trouvait des mots d’encouragement.

 

Depuis quelques années, le métier de médecin évoluait vers une spécialisation de plus en plus pointue. Le regard global sur le corps du patient, son rythme ou sa démarche, n’était plus d’actualité. On nous demandait de nous occuper sans tarder du problème aigu, c’est-à-dire du mobile de la consultation, et de ne pas perdre du temps ! Ainsi, le sein malade d’une consultante se réduisait à un objet qu’il fallait examiner au plus vite avec des  machines ; les yeux et les mains n’avaient de moins en moins raison de s’attarder sur l’organe malade.

 

Quel bonheur de pouvoir, enfin, étudier la norme et apprécier un corps sain dans son entier, les yeux grand ouverts ! Et les modèles « hommes » sont-ils plus difficile à saisir ? Je dirais que oui, car ils sont moins nombreux dans les salles d’académie. Mais indépendamment du sexe du modèle, avant d’entamer le dessin il faut surtout « regarder », évaluer le rythme du corps, sentir l’ambiance. Me viens à l’esprit la comparaison avec un slalomeur : il étudie, en remontant la pente, le parcours à travers des piquets pour se concentrer sur le passage à choisir. Idem pour celui qui veut saisir son modèle ; il doit agir comme le compétiteur et poursuivre la seule idée, que le modèle doit prendre forme sur la feuille. J’avais dès le début pris l’habitude de travailler sur le format 50/70 avec du pastel gras, toujours en traits rapides et appuyés et sans faire des retouches par la suite.

 

Il m’arrivait de rentrer le soir déçu. Déçu, malgré un modèle parfait et très inventif dans ses poses, rien n’avait marché, il ne me restait qu’à me mettre seul en cause. Je n’arrivais pas à saisir le rythme du corps du nouveau modèle ; le moral à zéro, je songeais à jeter les ustensiles aux orties. Heureusement, je connaissais cet état d’âme, cette frustration qui nous décourage devant un échec relatif et momentané. Alors, pas de raison d’abandonner !

 

Une semaine plus tard, deux ou trois dessins bien réussis trouvaient  l’admiration des nouveaux élèves. « Vous exposez ? » demandaient-ils. Cette remarque me faisait réfléchir. Malgré le fait que plusieurs de mes dessins décorent les cabinets de gynécologues, et que toute une série de mes nues s’éternise dans l’escalier interne de la Fondation genevois pour le dépistage du cancer du sein et dans les locaux de l’Unité de sénologie à la Maternité de Genève, je n’ai jamais aspiré à montrer ce travail dans une vraie galerie.

 

L’art contemporain ne s’identifie plus avec la tradition représentée par l’apprentissage du dessin de figure ; aujourd’hui, les écoles d’art sacrifient  même leurs belles salles de dessin pour y recevoir des activités comme le stylisme ou le design. Faudrait-il alors dénicher une galerie qui offre à sa clientèle encore ce style d’art classique, dont les représentants les plus illustres sont Egon Schiele ou Hans Bellmer ? Il n’est pas question de me comparer avec ces grands artistes, mais qui peut s’acheter aujourd’hui une œuvre de Martin Kippenberger ou de Cindy Sherman, parce qu’il aime l’art contemporain ? Et je me suis dit, courage, tu vas trouver ta galerie et avec elle les amateurs qui auront du plaisir à s’approcher de ton art, même si on l’appelle « mineur » et surtout pas « contemporain ».

 

                                                                                         P.Schaefer, août 2014

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